ENTRELACS ©
HANDSCHRIFT.
Go to the dream.
Synopsis.
Elyo et Willan sont jumeaux. Durant les vacances d'été, leur mère adoptive meurt dans un accident de moto, à leurs quinze ans. Les jumeaux se font la promesse de devenir écrivains, la littérature étant leur passion. Dès lors, une rédaction d'un livre relatant l'histoire d'un programme génétique sur des enfants commence. Seulement, Elyo et Willan ne sont pas des enfants tout à fait normaux. Ils sont surdoués, on ne connait pas leur réel lieu de naissance, et surtout, depuis leur quinze ans, les garçons montrent des facultés surnaturelles. Rêves étranges, éveillés, serpents dessinés sur le corps... mais le plus étrange est certainement ce jeune garçon aux cheveux rouges, de nationalité anglaise, nommé Gaël, qui semble sortir tout droit de leur manuscrit.
Pourtant, il semblerait qu'ils aient quelque chose à faire, tous les trois ensembles. Entre Willan, le petit frère calme et apaisant, Elyo à l'humour sans limite et Gaël le psychopathe, il y a un lien irréfutable. Pourtant, une énorme tension existe entre l'aîné des jumeaux et le jeune Anglais. Un sentiment qu'aucun des deux n'arrive a expliqué.
Lorsque survient Thomas Teufel, un étrange informaticien allemand, la vie des trois bifurque comme jamais.
Il est temps d'écrire l'histoire, de se battre contre le destin.
Et surtout, de commencer à grandir.
~
Prologue.
« A propos, t'ai-je dit ce qui m'avait accroché à Pythagore? Il a inventé le mot amitié; le savais-tu ? Comme on lui demandait ce qu'est un ami, il répondit: « Celui qui est l'autre moi-même, comme 220 et 284. ». Deux nombres sont « amis » ou « amiables », si chacun est la somme de tout ce qui mesure l'autre. Les deux nombres amis les plus célèbres du Panthéon pythagoricien sont 220 et 284. Ils font une belle paire. Vérifie-le, si tu as le temps. Et nous deux, sommes nous des « amis »? Qu'est ce qui te mesure, Pierre? Et moi? Le temps est arrivé, peut être, de faire la somme de ce qui nous a mesuré. ».
Elgard Grosrouvre, le théorème du perroquet. Denis Guedj.
Il s'appelle Thomas. Il a vingt quatre ans. Physiquement, il est grand. Très, très grand, à n’ en plus finir. Comme s'il n'avait pas terminé sa croissance. Deux mètres quatre, exactement. Deux grands bras, deux grandes jambes. De longs membres.
Il n'a rien d'un athlète, ou d'une armoire à glace. Il est grand, mince. Tout en os.
Il a les yeux d'un noir doux. Calme, comme la nuit qui emporte vers les songes. Des pupilles sombres encadrées par de longs cils, qui appuie la douceur de leur regard. Des cheveux bruns et ébouriffés, qui lui donnent un air un peu fou. Ce qu'il n'est pas. Il a aussi un sourire doux, très aimable, très agréable à regarder.
Il a l'air incroyablement gentil.
Pianotant de ses longs doigts, Thomas rit tout seul. Dans sa bulle. Dont l'univers s'étale, immense, fruit de son intelligence incroyable. Son quotient intellectuel s'élève à plus de cent soixante.
Il est diaboliquement intelligent.
Thomas Teufel est allemand. Informaticien. Adulte. Sa précocité fit de lui un garçon silencieux, puis un adolescent violent. Adulte, il devint on ne peut plus charmant. Mais son intelligence est insupportable. Très précisément.
Dès l'instant où il devient un personnage de cette histoire, il vient juste de lire au cachet officiel.
~
Le serpent était silencieux, et rampait au travers du salon, à la manière d'un spectre. Il était totalement déplacé dans cet endroit aux parures modernes et civilisées; ondulant sur le sol du salon sans un bruit. Mais c'était la nuit, et personne ne se trouvait dans la pièce. Il glissa jusqu'à dans le couloir, bifurquant pour pénétrer dans la chambre la plus éloignée, et glissant par l'interstice d'une porte entrouverte, arriva ainsi dans la chambre d'Elyo et de Willan.
Les adolescents étaient jumeaux, et avaient quinze ans. Endormis, respectivement dans leur lit, ils laissaient apparaitre sous le monticule de draps que formait leur corps leur profil atypique. Adoptés, ils avaient des origines indiennes; leur peau métisse en témoignaient. De longs cheveux noirs, courant sur leurs épaules encadraient leurs visages. Ces derniers, fins et harmonieux, exhibaient cette même beauté juvénile, semblable à celle des petites filles. De longs cils, assombrissant un regard vert, et des lèvres pleines, aux commissures pointues. Sans la pomme d'Adam qui remontait doucement, parfois, dans le sommeil des jumeaux, ils auraient pu passer pour des filles. De ce fait, les jumeaux avaient cette particularité physique d'être androgyne.
Le serpent se releva, et doucement, monta sur le lit, glissant sur les draps.
Il venait de retrouver les deux enfants, ceux qu'il cherchait depuis dix ans.
Le dieu Ananta en serait ravi.
(...)
Ouvrant grand les yeux, d'un coup, le jeune métis aux yeux verts, l'ainé, Elyo, sentit les filaments de la lumière solaire pénétrer ses iris, et il papillonna rapidement des paupières pour calmer sa brève cécité.
- Elyo? Tu es réveillé? On est samedi. Il y a marché aux puces! On a dit qu'on y allait, je te rappelle...si tu dors jusqu'à midi, tout les trucs intéressants auront foutu le camp, darling.
- Je me remets de mon horrible rêve et j'arrive. Tsss, je hais ce soleil. ...Raaah, c'était horrible à la fin!
- ... une fille ne tombait pas sous ton charme, mon grand frère d'amour? Demanda très innocemment Willan, avec le plus grand sérieux d'un enfant en bas âge.
L'oreiller d'Elyo prouva la théorie selon laquelle un objet envoyé par un Elyo furibond retombe toujours, après avoir suivi une parabole très courte, dans la tête hilare au jumeau Willan.
- Espèce de...
- Raton laveur? Proposa Willan en s'approchant de l'armoire de leur chambre. Aujourd'hui, je veux me faire beau pour que plein de filles tombent comme des mouches quand je traverserai la rue.
- Elles tomberont quand elles verront ce que tu achète...Bel-ami, Boule de suif, Les fleurs du mal... timbré, va!
- T-t-t! La culture est un plan très sérieux pour draguer les jouvencelles, mon cher Elyo, d'ailleurs, avec ta tête de déterré, tu risques pas de faire des hystériques...
- Mal dormi...un foutu rêve où on se retrouvait avec cinquante types dans un collège BC-BG, où ils voulaient étudier les jeunes, et à la fin, il y avait un mec aux cheveux rouges qui rentrait dans notre chambre.
- Super angoissant. Marmonna Willan en étudiant son reflet dans la vitre. Je mets laquelle? La chemise blanche ou la noire?
- La verte a points roses...
Elyo reposa sa tête sur l'oreiller et resta silencieux quelques minutes. Un vague sentiment de tension régnait dans la chambre, tandis que le jeune homme s'appliquait à écouter les bruits produits par les déplacements de son jumeaux quand un sourire barra malgré lui ses lèvres, et qu'il se releva sur un coude, pour apostropher son petit frère.
- Et arrête de me piquer mon sens de l'humour, Willan!
Le benjamin ricana.
(...)
Une chemise à manches courtes, blanches, un boléro noir en cuir, un pantalon en cuir synthétique, imitation slim, des Dr Martens noir délacées au niveau des chevilles, Elyo regardait d'un œil attentif, crâneur a souhait, les passants. Accoudés a la statue d'un maréchal dont ils n'avaient su retenir le nom, les jumeaux attendaient patiemment ; leur mère discutant avec un marchand sur un objet antique d'une rareté "absoluuuuuue" selon elle. Elle les avaient même sermonné, agrémentant la qualité prix de l'objet en question par un commentaire se résumant à :"mais vous ne pouvez pas comprendre ce n’est pas de votre époque!" L'objet en question était un disque vinyle...
Sa musique branché à fond dans les écouteurs, Elyo fixait d'un regard d'aigle un chien au pelage sable remuer mollement la queue. L'ennui le rongeait, et le regard qu'il partageait avec le chien relevait de la morosité pure. Le labrador souleva ses lourdes paupières pour lui porter un regard presque condescendant. Elyo soupira, frustré. Les secondes passaient, et Anna, leur mère, continuait de discuter avec le marchant. Quel ennui.
Pendant un instant, Elyo imagina le mâtin ouvrir une gueule écumante, muter en un monstre dans le style shinigami version Ryuk...
Le jeune métis eut un ricanement. Balançant ses jambes dans le vide, il tourna la tête vers le ciel. Orageux. Sombre, mais chaud. Exactement le genre de temps qu'il aimait.Une omnipotence solaire lui créait des migraines, et il avait en horreur les jours d'été trop ensoleillé. Comble de la malchance, il était né un onze août, selon les papiers d'identité qu'on avait fourni à sa mère. Perdu dans ses pensées, Elyo releva ses yeux verts étincelants vers le ciel, s'amusant à admirer les formes nuageuses. Les minutes passaient, maintenant, et toujours ce même ennui.
Ses pupilles se figèrent sur un étrange nuage en forme de lapin blanc.
Willan...
Les garçons étaient jumeaux; une facilité de la compréhension existait entre eux, se passant de mot. Parfois, ils avaient juste à se regarder pour deviner les pensées de l'autre. Comme à cet instant là; Willan, le benjamin, répondit en souriant à la proposition d'Elyo, cette dernière consistant à s'éloigner de l'étal de vynile. Son jumeau en fut ravi. Ils quittèrent lestement le sôcle de la statue du Maréchal, et passant à côté du chien, lui firent relever la tête, intrigué. Son regard ambré les accompagna quelques secondes,a avant qu'ils ne disparaissent, mêlés à la foule, puis le canidé reposa sa tête sur le sol, et particulièrement heureux d'être chien, soupira de bonheur, en refermant ses yeux.
(...)
Pas souples et énergiques, les jumeaux faisaient se tourner les regards vers eux. Comme le serpent la nuit dernière, les attentions se déposaient sur leur duo au charisme évident. Leurs cheveux noirs et libres, flottants sur leurs épaules accentuaient grandement leurs côté effeminés, tandis que la finesse de leur corps faisaient se tourner des regards étonnés. Filles ou garçons? Depuis leur entrée à l'école, Elyo et Willan avaient fait face à cette question mille fois répétée; toujours prononcée avec ce même gêne. Ils ne s'étaient jamais incommodés de cela, bien au contraire: s'accaparant cette différence comme une force, les garçons avaient anticipé leur adolescence en se choisissant des styles bien différent l'un de l'autre. Elyo adorait exhiber ce corps fin et svelte, qu'il entretenait d'ailleurs avec la gymnastique, communément à Willan, qui lui, se préférait un style plus hip-hop. Baggy ou sarouels, le cadet des Spirtyans appréçiait les vêtements amples et de couleurs criadres, alors qu'Elyo leur préférait les effets noirs et moulants .De ce fait, l'intégration aux autres n'avait pas été, et n'était pas toujours facile. Pour de nombreux adolescents de leur âge, ils étaient tous les deux gays. Et leur androgynie attiraient souvent les quolibets ou autres noms d'oiseaux.
Riant et discutant entre eux, les jumeaux visitaient le marché aux puces depuis quelques minutes, quand Elyo heurta un homme grand et brun. Ce dernier lui jeta un bref regard et lui marmonna une excuse avant de s'écarter et de s'éloigner, traversant la foule comme un couteau dans du beurre, en vue de sa carrure de géant. Elyo se raidit, et força Willan à s'arrêter de marcher.
- Willan! Je connais ce type.
- Hein?
Les yeux verts de Willan vrillèrent sur le dos de l'homme. La trentaine, à peine, des cheveux bruns et cette stature de carambar. Son jumeau trépignait, cherchant à ne pas lâcher des yeux l'homme qui venait de le bousculer. Willan, incertain, reposa ses yeux sur Elyo.
- Tu es sûr?
- Oui! Dans un rêve! Allez; suivons-le!
Ensemble, les jumeaux étaient des gamins, fonceurs et irréfléchis. Ils se lançaient souvent ce genre de paris stupides, veillant à toujours atteindre des records futiles. Mais séparés, ils s'accordaient dans une complémentarité étonnante. Willan était calme et distingué; il adorait lire et se cultivait souvent en plongeant le nez dans une encyclopédie, alors qu'Elyo préférait se dépenser sur un terrain de sport. Il était plus fonceur, moins averti que son frère; mais aussi plus charismatique, et plus souriant.
(...)
Ramassé dans la foule comme des animaux traqueurs, les jumeaux se collaient, pour ne pas se perdre de vu l'un de l'autre, tandis qu'ils filaient l'homme brun. Dans l'esprit d'Elyo, animé et complexe, le prénom de Thomas revenait souvent. Nonobstant, il était bien incapable de se rappeller d'où il connaissait l'identité de cette homme à la carrure d'armoire à glace. Ce dernier quittait en douceur les limites du marché aux puces, gagnant les quartiers environnants la place sur laquelle était installés tous les étals et les stands. Jetant un regard à son frère, Elyoaccélera son allure, se mettant à courir entre les passants, de manière à ne pas placer plus d'écart que suffisant entre le mystérieux brun et eux. Lorsqu'ils débouchèrent dans un quartier silencieux et vide, Willan attrapa Elyo par le bras, le glissant dans le pan d'un mur, tandis que l'homme se retournait vers eux. Camouflés dans l'ombre, invisibles au regard, les jumeaux Spirtyans scrutèrent le visage de celui qui se faisait leur jeu, aujourd'hui. Pour eux, cette filature n'avait pas plus d'importance que cela, le but principal étant de chasser l'ennui. Accroupi près du sol, collés l'un à l'autre à observer cet homme méfiant relevait de la plus grande partie de jeu qui soit. Il avait un visage maigre et carré, à la mâchoire découpée, sous sa peau caucasienne. Une vague barbiche ornait son menton, et ses yeux sombres s'agitaient dans les orbites. Ces dernières étaient soulignées par deux grosses cernes violacées, ce qui, avec ses cheveux bruns, en bataille, lui offrait l'image d'un sorcier, ou d'un magicien noir. Mais sitôt Elyo eut pensé ces mots que l'expression intimidante de l'homme disparut, laissant place à une granjde douceur, venue s'installer sur ses traits, comme familièrement. Il avait l'air...si gentil, soudain. Silencieux, les jumeaux attendirent que l'homme se détourna, puis ayant bifurqué au coin d'une rue, se redressèrent pour se jeter sur ses traces. Ils ne mirent cependant pas longtemps à comprendre que l'homme, en leur échappant des yeux, avaient disparus. La ruelle dans laquelle ils s'étaient engouffrés était on ne pouvait plus vide. S'interrogeant du regard, les jumeaux avancèrent lentement entre les murs resserrés. C'était si excitant... la journée avait débuté de manière morne, se prolongeant sur des activités banales. La filature qui s'était vu naitre de l'esprit ludique d'Elyo venait cependant de briser la monotie de cette journée orageuse. Les jumeaux avançaient en travers des secondes, progressant dans une aventure les faisant frémir de plaisir. Quelle joie que d'explorer le mystère, de flatter l'étrange. Le suspens s'était collé à leur peau, dans une étreinte séductrice.
(...)
La main posée contre le mur, Elyo refaisait lentement la largeur de la ruelle étroite et sombre. Derrière lui, Willan inspectait chaque recoins de mur, cherchant à découvrir si l'homme avait pu se subtiliser dans une interstice murale. Secouant ses mèches brunes lui arrivant aux épaules, l'ainé des jumeau écoutait d'une oreille distraite les déplacements furtifs de son jumeau derrière lui. Il était vraiment étonnant la manière dont cet homme avait disparu.
- Tu crois que c'est un magicien?
- Oh, je ne pense pas vraiment que ça existe, marmonna Willan. Ça n'existe pas, en vrai, la magie.
- Ils disent tous cela. Répondit Elyo, ennuyé, en lorgnant les rares passant de la rue bordant la ruelle dans laquelle ils étaient en train d'inspecter. Moi, cette société me fait penser à un livre. Un livre sans dialogue ni illustration. Quel ennui!
Willan ne répondit rien, mais Elyo sentait que son frère était d'accord avec lui. Le jeune homme ramena ses doigts à ses cheveux, pour attacher les longues mèches brunes, qui, secouées par le vent, le gênait dans sa vision, tandis que derrière lui, les semelles de Willan chuintaient sur une plaque d'égout. Elyo avisa avec un regard mauvais le ciel, puis se retournant, ouvrit la bouche pour dire quelque chose à Willan. Les mots se perdirent dans sa bouche, car dans la ruelle, plus la moindre trace du deuxième métis. Les yeux écarquillés, raidi dans son mouvement, Elyo resta une seconde en état de "bug". Puis son corps s'élança en avant.
- Willan?
Dévorant rapidement la distance pour se rendre à l'endroit où il avait apperçu son jumeau, quelques secondes auparavant, il bondit vers la plaque d'égout. Il avait entendu ses chaussures coiner sur le métal. Peut-être, supposa t-il, paniqué par la disparition violente de son frère. S'accroupissant face à la plaque d'égout, il la scruta avec une sorte de désespoir, comme imaginant qu'elle allait lui offrir immédiatement une réponse aux questions qui fourmillaient dans sa tête dans des crissements l'empêchant de réfléchir. Elle le lui offrit.
Frappée à l'égérie de la reine Victoria, la plaque d'égout portait des inscriptions anglaises, et était d'une esthétique totalement déplacée dans cette époque moderne. Interdit, Elyo laissait défiler devant ses yeux les images les plus absurdes qui soient: des petites filles poursuivant des lapins, des chaussures géantes, et des dames bien habillées danser avec des géants bruns. Il eut un vague malaise, et touchant du bout des doigts la plaque, s'assura qu'elle était bien réelle. Un coup de vent vint giffler sa nuque, et se redressant lentement, il se plaça debout sur la plaque. Aussitôt, celle-ci bascula. Elyo chuta, sans un cri, trop surpris pour y parvenir. Les yeux grands ouverts, il ne parvint pas à saisir qu'il chutait. Ce fut quand son dos heurta le sol qu'il réalisa, stupéfait, la distance séparant le sol et la minuscule tâche de lumière, plus haut. À cette hauteur, il devait certainement être mort. Peut-être était-il mort? Il ne savait pas, ne parvenait même plus à souvenir. Pendant une seconde, il ne souvint plus son nom.
Puis les repères revinrent lentement. Se mettant debout avec difficulté, l'androgyne métis jeta un regard autour de lui. Tout cela semblait si réel... Mordant ses joues avec férocité, Elyo songea que jamais le dilemme n'avait été plus cruel: devait-il croire qu'il était dans une illusion ou faire semblant qu'il était dans la réalité? Qu'est-ce qui était vrai? Plaquant ses doigts contre une surface verticale, il découvrit lentement une paroi rocheuse, et humide. Il était dans ce qui ressemblait à un boyeau souterrain, plongé dans les ténèbres. Depuis tout petit, elyo n'avait jamais vraiment supporté la forte luminosité, aussi aimait-il passer son temps libre dans une certaine pénombre. Mais les ténèbres de ce lieu là étaient... humides, etouffantes... comme une gigantesque écharpe, menaçant lentement de se resserer, dans une progression irrévocable. Le jeune homme se sentait paniqué.
- Willan? Tu es là?
Il n'attendait aucune réponse, terrassé par ce qui devenait un peu plus vrai à chaque secondes. Il ignorait comment, mais il était bien sous terre. Peut-être dans les égouts? Cependant, aucune odeur suspecte n'était détecté, et il n'entendait pas le moindre cours d'eau près de lui. Cela semblait juste... froid, vide, et silencieux. Comme à l'intérieur d'une tombe, ne put s'empêcher de penser le brun en balayant des yeux un paysage aveugle. Il eut soudain une illumination. Plongeant ses doigts dans sa poche arrière, il sorti son MP4, dont il braqua le faisceau devant lui. Mal lui en pris. La silhouette d'un énorme chien, couché à quelques mètres devant lui frissonnait. Ses pattes avant reposées l'une sur l'autre, le chien semblait se réveiller d'une lourde torpeur. Un faible gémissement s'échappa des lèvres d'Elyo et il recula doucement, commençant à se laisser immerger par le désespoir. Tout ceci était peut-être trop réel, trop "hors-banalité" pour lui plaire. Le chien, en effet, était tricéphale. Elyo ne chercha pas à savoir si le dogue était affectif, et sans demander son reste, se servant de la lumière de son MP4, s'enfuit en courant.
(...)
Willan ouvrit lentement les yeux. Il craignait que la douleur de ses poignets ne l'irradie s'il ouvrait trop précipitamment ses paupières. On l'avait enchainé, à l'aide de menottes grossières et rouillée, qui frictionnait sa peau de manière très désagréable. Son poignet droit était douloureux, et il ne sentait plus le gauche. Depuis combien de temps était-il enchainé ainsi? Il ne parvenait pas à calculer clairement le temps écoulé entre sa chute dans le trou, et lorsqu'il avait ouvert les yeux. Il n'était sûr que d'une chose, et elle était déplaisante: Elyo n'était pas près de lui. Lâchant un sifflement rageur, le jeune métis observa autour de lui. Il était assis dans un lieu semblable à une alvéole de pierre; intensément éclairée par un feu à l'éclat exagéré. Plissant les yeux, Willan observa l'unique présence de la pièce, assise dans un fauteuil, à une centaine de mètres de lui. Il percevait nettement le visage, au vu de la lumière de la pièce: son kidnappeur était ce même homme qu'Elyo lui avait suggéré de suivre. Quelle erreur, songea Willan, concentré sur l'homme.
Ce dernier était assis dans un fauteuil, à l'image d'un roi se prélassant dans un trône. Ses yeux sombres étaient vrillés sur le visage de Willan, mais seul un calme impassible recouvrait ses traits. Une dualité de regard s'imposa rapidement, mais l'homme, au bout de quelques minutes, brisa le face-à-face silencieux, et en se redressa, annonça d'une voix grave, aux ondulations profondes.
- Willan Spirtyan, n'est-ce pas?
- ...Effectivement.
L'homme eut un air satisfait, et à pas lent et mesurés, franchit la distance les séparant, laissant ainsi le loisir au jeune homme de découvrir à quel point il était grand. Mais il n'avait pas ce charisme de requin; son absence de muscles et de poids laissant comme une étrange frustration dans l'admiration de son observation. Il se planta devant Willan, se laissant dévisager de pied en cap.
- Je m'appelle Thomas Teufel.
- Enchanté, murmura Willan d'une voix neutre.
Le métis frissonnait, intimidé par le regard paradoxal du géant anorexique. Un mélange équitable de douceur et d'intelligence brillait au fond des prunelles sombres, miroitant un regard effrayant et perçant. L'androgyne, du mieux qu'il put, affronta les yeux sombres en opposant son regard d'un vert scintillant. Le géant détourna brièvement les yeux.
- Je vais me charger de faire venir ici Elyo.
- Dites-moi ce qu'il se passe, je vous en prie. Ou...
- Te crois tu fou? Demanda doucement le géant, toujours sans affronter les yeux verts.
- Je..., déstabilisé, le jeune homme bégaya. Non, je ne le suis pas. C'est... c'est ma vérité n'est-ce pas?
- Alors peut-être que tu te trompes simplement, répondit psalsmodiquement l'homme, en se rendant près de son trône.
Les paupières de Willan esquissèrent une courbe surprise, quand un bruit au fond de la salle riva les prunelles vertes de l'androgyne vers la source du bruit. Se découpant du mur, un trou apparaissait lentement, comme une fonte de la pierre. L'orifice s'ouvrit lentement, dans une implosion progressive, tandis que la lumière pénétrait en son centre, pour en éclairer la causalité. Les intestins de Willan se cristallisèrent dans une vague de froid quand il vit apparaitre, sous ses yeux, la gueule triangulaire d'un énorme serpent. Ondulant, pénétrant par le trou du mur, il glissa à l'intérieur de la pièce, venant jusqu'en son centre. La bouche entrouverte dans une inspiration bloquée dans sa poitrine, Willan le regarda passer, croisant le regard d'une énorme pupille fendue. Il vit son propre reflet, déformé par la membrane visqueuse de l'opalin, tandis que le serpent passait devant lui dans un zizgag impressionnant de ses muscles. Le serpent géant alla se placer autour du trone, encerclant Thomas par la barrière de son corps écaillé, et se redressant totalement, ouvrit sa gueule au dessus de l'homme. Tétanisé, Willan regarda les énormes crochets scintiller au dessus de la tête brune de Teufel. Willan ne parvenait pas à fermer les yeux, captivé, persuadé que le serpent allait dévorer l'homme. Il n'en fit rien: quelque chose tomba de sa gueule: Thomas le récupéra entre ses bras. De plus en plus surpris, Willan se redressa lentement, cherchant à voir ce en quoi consistait ce que tenait Thomas, tandis que le serpent, se déroulant, brisait le cercle qu'il avait formé de son corps. L'énorme reptile franchit rapidement la distance le séparant de la sortie, et repassant devant Willan, croisa une seconde fois son regard, accrochant ses yeux avec une violence inouïe. Willan, tétanisé, le laissa passer sans bouger d'un poil, tandis que l'image de son propre visage, projeté à la surface réfléchissante d'une pupille réptilienne s'inscrivait dans sa mémoire à grand coup de marteau pilon. Thomas s'approchait. Et dans ses bras, Willan reconnu Elyo. Bouleversé, le jeune homme voulut bondir vers son frère, mais la présence des chaines à son poignet l'en empêchait. Il se mit à crier, rendu hystérique.
- Qu'est-ce que vous lui avez fait?
- Il va bien. Il dort.
Les yeux humides, terrifié à l'idée que son jumeau soit blessé, Willan se laissa tomber aux pieds de Teufel, tandis que le géant s'accroupissait, déposant le corps inerte d'Elyo. Ce dernier était humide, enduit d'une fine pellicule visqueuse. Les doigts de Willan coururent sur ses mains. Thomas sourit doucement, en se redressant.
- Ne t'inquiètes pas, petit avatar. Elyo se réveillera, quand vous remonterez, d'ici quelques instants. Je voudrais juste m'assurer d'une chose. Je te prie; donne moi ta main.
Willan, sans décrocher son regard du visage endormi de son frère, mais rassuré par le battement régulier de son coeur, et de la présence inerte dans son esprit, de son jumeau, il tendit ses doigts à Thomas. Dès l'instant où il sentit quelque choses de brûlant exploser contre sa paume, il pivota l'articulation de sa paume, cherchant à hurler de protestation, mais déjà, tout avait disparu; laissant place au décors de la ruelle. Elyo était assis contre un mur, se frottant la tempe, l'air sombre. Levant ses mains à la hauteur de son visage, Willan, stupéfait, ne vit aucune trace de friction autour de ses poignets. Les yeux verts d'Elyo rencontrèrent les siens.
- Tu as une idée de ce qui vient de se passer?
Pas du tout.
Elyo se redressa lentement, et chercha des yeux la plaque d'égout. Cette dernière avait disparue, comme une menace silencieuse. Il déglutit lentement, encore assommé par le déroulement des choses qui venaient d'avoir lieu. Il releva lentement son visage vers le ciel. Ce dernier s'était obscurci, et les énormes nuages d'orage s'ammoncelaient de manière dangereuse.
(...)
Le lendemain, allongé entre ses draps, à attendre que le réveil sonne, Elyo repassait en boucle les évenements de la veille. Comment il était tombé dans ce trou profond, comment il s'était écrasé au sol sans mourir, comment il s'était retrouvé nez-à-nez avec le chien tricéphale endormi, et comment en fuyant, il s'était fait haper par un énorme serpent fondant sur lui. Dans la gorge etouffante, il avait chercher à lutter, mais un gaz anesthésiant lui avait fait vaincre toute capacité de pugnacité, et comment il s'était réveillé près de Willan qui lui avait expliqué son bref séjour sous-terre. Il savait maintenant que Thomas Teufel existait bien, et n'était pas qu'un nom prononcé dans une demie-torpeur. Mais le doute persistait, appuyant comme un index sur son esprit fatigué; est-ce que tout avait été réel?
Une vive brûlure, comme une piqûre de moustique, l'interrompit dans ses reflexion. Il porta ses doigts à son sternum, et écartant lentement le col de son haut de nuit, regarda sa poitrine. Tout soupçon s'effaça, quant à un possible rêve, car sur son sternum s'étalait un tatouage de serpent. Dessinné de manière trivale, le reptile abordait un corps long et ondoyant. Dans un sursaut, le métis s'assit, tirant de ses doigts sur le vêtement pour mieux observer. Le serpent imprimé sur sa peau bougeait: clignant ses doubles paupières, son cou ondulait sur la peau d'Elyo. Ce dernier, gêné dans sa visibilité, ôta avec précipitation son haut, et plaquant ses doigts sur le serpent, eut l'étrange impression de ne plus reconnaitre sa peau. Au contact des doigts, le serpent quitta la position du sternum pour glisser sur les doigts, et remontant les phalanges, vint s'enrouler autour du poignet. Le coeur battant à folle allure, le jeune métis caressa doucement la peau de son articulation. Encore une fois, le serpent changea de position. Elyo, fasciné, le fit lentement courir le long de son corps, puis finalement, le laissa s'immobiliser autour de son triceps. Le serpent s'y enroula, puis clignant des yeux, sembla s'endormir. Lestement, Elyo rejeta ses draps, et bondit vers le lit de Willan.
- Will! Will, réveille toi, maintenant! Je veux te montrer un truc.
(...)
A table, pour le déjeuner, Elyo et Willan dévoraient avec appetit leurs assiettes. Anna, leur mère adoptive, française, faisait la navette entre le plan de travail et la table. Les vacances d'été avaient débuté un mois plus tôt, et les jumeaux avaient fêtés leurs quinze ans dans la première semaine d'août. Adoptés par Anna Petrovski-Durial, jeune femme d'une trentaine d'année à leur cinq ans, ils avaient grandis en France, sans aucun souvenirs de leur pays natal, l'Inde. Anna les avaient receuilli dans un orphelinat pauvre, au Ladakh. Ils vivaient tous les trois ensemble depuis maintenant dix ans. Ils étaient une famille heureuse et sans histoires. Les jumeaux savaient tout de leur passé, et n'éprouvaient rien au fait qu'on les aient abandonnés un jour dans cet orphelinat. Ils considéraient tous deux Anna comme leur maman, et l'adoraient purement. C'était une jolie jeune femme, brune, légèrement excentrique, de style hippie. Elle portait toujours des rubans dans ses cheveux bruns et emmêlés, et d'énormes lunettes vertes encadraient ses yeux noisettes. Pratiquante d'arts martiaux, et détentrice d'un doctorat en sciences de l'éducation, elle savait se montrer particulièrement exigeante sur les études. Willan n'avait pas de problèmes particuliers de ce côté là, mais l'école n'était pas le fort d'Elyo, qui préférait lire et écrire plus que calculé. Passionné par l'écriture, Elyo avait comme projet d'écrire un livre et de se faire éditer. La vague "Harry Potter" lui avait fait découvrir, comme de nombreux autres jeunes la passion de la littérature, et il partageait avec son frère l'envie d'avoir leur propre univers d'encre et de papier.
Posant les assiettes devant elyo, Anna interrogea son fils du regard, dévisageant son visage d'ange métis, et ses yeux verts captivants. Elyo releva les yeux sur elle, esquissant un sourire timide.
- Vous comptez sortir, aujourd'hui? Demanda Anna.
- On aimerait bien aller à la bibliothèque, après le repas.
- Vous n'oubliez pas de prendre vos portables, alors, répondit la jeune femme en s'asseyant à son tour pour manger.
Les jumeaux aquiescèrent et Elyo s'attaqua à sa tranche de bacon, tandis que Willan se levait pour aller chercher l'eau.
(...)
Assis sur les sièges en plastiques du tram, les jumeaux ne se regardaient pas et ne parlaient pas, captivés par leurs pensées, l'un l'autre. Le bras posé sur le rebord d'une des fenêtres, Elyo regardait défiler le paysage, perdu dans la contemplation de ses propres souvenirs. Il se souvenait le jour où des garçons s'étaient moqués de lui, quand, après une séance de foot calamiteuse, il avait été humilié par ses homologues masculins, membres de son équipe.
- Regardez-le? Il ne ressemble même pas à un mec.
- T'es une fille!
- Haha, tu nous montre ta zigounette?
Un quart d'heure de supplice s'en était suivi. Il avait cherché à ignorer les quolibets vengeurs de son équipe, qui excité par leur propre défaite lors du match, s'acharnait sur lui avec cruauté, le rendant responsable. Des garçons avaient retournés son sac, et lorsqu'il avait commencé à se déshabiller, on l'avait sifflé, moqueusement.
- Oh, Elyo, montre! J'suis sûr qu'il a des nichons!
- C'est un pédé.
Le garçon, le plus audacieux de tous, avait jeté un silence morbide dans les vestiaires, taisant les rires et les sarcasmes. A douze ans, tous les garçons connaissaient la différence entre la virilité et la féminitié. La cruauté s'était propagé, explosant à partir de l'insulte.
- Pédé, pédé!
- Elyo est un pédé! Petit pédé!
En larmes, le garçon était sorti des vestiaires, la joue griffée par une claque violente d'un des garçons. Il avait toujours détesté son corps. Mais à partir de ce moment là, tandis que les garçons s'amusaient à se déchainer sur lui durant l'école, Elyo se rebella en exhibant son corps. Adoptant un style vestimentaire mettant en valeur la souplesse de sa physionomie, et abordant des effets de plus en plus visibles, loin des simples "jean's/T-shirt" de la cour de récré, il avait fait son entrée au collège en commençant à se laisser pousser les cheveux. Les garçons se taisaient désormais, et gênés, n'osaient plus le regarder, tandis que les filles riaient, déconcertées. Le malaise provoqué par l'attitude androgyne d'Elyo avait aussi poussé Willan à imiter son frère: mais loin de témoigner de son physique, il avait préféré souligner son style de manière plus calme, plus personnelle; simplement avoir son style, c'est ce qu'il voulait. Hip-hop, rap; il rêvetit des baggys et des sarouels, des sweat à manches amples, et des capuches larges. Les jumeaux Spirtyans devinrent dans le collège une icône des sixième, se faisant connaitre même parmi les plus vieux.
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